Lundi 22 janvier 1945

Météo défavorable dans la matinée, mais s'améliorant un peu dans l'après-midi.

Le commandant MENARD, commandant le groupe "MAROC"
et trois membres de son équipage
disparaissent dans l'explosion de leur "MARAUDER"
au-dessus du Rhin.


A 10 h 56, une soixantaine de "B.26" décollent de Lyon-Bron pour aller bombarder les ponts de Chalampé.

Un premier groupe composé d'appareils du "SENEGAL", du "FRANCHE-COMTE" et du "BOURGOGNE" attaquera le pont ferroviaire alors que le second groupe composé d'appareils du "GASCOGNE", du "MAROC" et du "BRETAGNE" s'en prendra au pont de bateaux situé à quelques centaines de mètres.

A l'aller, les bombardiers français suivent l'itinéraire Lyon-Dijon-Lure-Belfort-Altkirch-Chalampé. Le rendez-vous avec les chasseurs de protection prévu à 12 h 40 à la verticale de Lure est manqué. Les bombardiers poursuivent malgré tout leur route et arrivent sur l'objectif pour lâcher leurs bombes à 13 h 12.
Dans le "B.26" n° 08, leader du groupe "MAROC", seuls le capitaine THEOBALD (bombardier) et le commandant MENARD (pilote) échangent quelques paroles.

Adjudant LiebenguthL'adjudant LIEBENGUTH nous conte la suite :

Chapitres

L'approche
Un saut périlleux un peu long
En parachute au-dessus de son village
Accueilli sur le sol allemand par deux prisonniers polonais
En route pour la base aérienne de Freiburg
Soigné à l'hôpital de Freiburg
L'évacuation de l'hôpital de Freiburg
A travers la campagne allemande
Difficile progression en agglomération
Insolites rencontres
Enfin la Suisse
Le sort des autres membres de l'équipage
Elle s'appelait Billy
Les états de service de JB Liebenguth
1975 Commémoration 30ème anniversaire
2005 Commémoration 60ème anniversaire
2005 Commémoration 60ème anniversaire - Les temps forts

marauder n°08



L'approche


" A un moment donné, le bombardier annonce :

"J'ouvre les trappes."

L'air s'engouffre violemment dans cette gueule béante et vient lécher les quatre bombes de 450 kg en faisant vibrer toute la cellule de l'appareil.

Bien installé dans la tourelle supérieure, les deux mitrailleuses 12,7 braquées vers l'avant, je ne cesse de scruter le ciel. Mon attention n'est divertie que par les paroles du bombardier.

"Attention, attention, en course."

Le pilote a les yeux rivés sur le PDI (Pilot Directional Indicator). De son côté le bombardier s'affaire sur le viseur Norden.

Un silence absolu règne à bord. Chacun de nous attend avec anxiété le largage des bombes.

Soudain une violente détonation secoue l'appareil durant quelques secondes. De mon poste de tir, je vois au même instant, un petit flocon noir tangeantant le fuselage, puis un second tout près du premier, vers le moteur gauche. Le pilote parvient cependant à rétablir l'équilibre. Nous devons être touchés. Je m'interroge.

Le bombardier annonce :

"Bombes larguées. Je ferme les trappes"

Cette phrase est toujours fortement appréciée puisque aussitôt après, le pilote dégage pour essayer d'échapper en virant très sec, aux tirs des batteries ennemies.

Mais ce jour-là, il n'en est pas de même pour nous, car je ressens bientôt une sensation de chaleur très vive. L'avion est en feu. Vite, il faut prévenir l'équipage. Trop tard hélas ! L'interphone ne fonctionne plus.

Le chef de bord a peut-être donné l'ordre d'évacuation à l'équipage ? Tous ont peut-être déjà sauté ? Toutes ces pensées me passent par la tête en un éclair.

Bombes larguées



Un saut périlleux un peu long


Je me dégage rapidement de la tourelle Martin, plus vite que je ne l'ai jamais fait auparavant à l'entraînement au sol. D'un coup sec, je largue mon gilet antiflak. Je saisis mon parachute ventral posé sur le plancher sous la tourelle. Hélas, seule la boucle de gauche s'enclenche. J'insiste une deuxième et une troisième fois avec la boucle de droite, mais le mousqueton du harnais sanglé sur ma poitrine, ne peut être atteint. J'aperçois le sergent-chef BOUTIN, radio-mitrailleur, qui bascule dans le vide par le sabord de gauche. Malheureusement au passage son pied gauche reste accroché au support de la mitrailleuse qu'il avait pourtant rentrée pour faciliter l'évacuation. Je le dégage rapidement et me jette à mon tour par le sabord de droite où la mitrailleuse, là, est restée sortie, en serrant très fort mon parachute. Maintenant je descends en chute libre. Une foule d'idées me passe par la tête… Et ce sifflement qui commence à m'exaspérer. Tant pis me dis-je, je vais l'ouvrir… La sangle doit résister au choc.

Effectivement une secousse moins forte que je le redoutais se produit. Me voici tel un pantin suspendu après de fragiles ficelles. Je saisis des deux mains l'unique sangle qui me relie à cette imposante voilure blanche, qui se gonfle sous la pression de l'air. J'exerce plusieurs tractions sur elle et constatant avec satisfaction que rien d'anormal ne se produit, je lâche lentement la sangle.

A environ mille mètre au dessus de moi, je distingue très nettement notre formation de bombardiers sur le chemin du retour, toujours suivie par le tir de plus en plus court de la Flak.

Je regarde autour de moi pour retrouver mes coéquipiers. Mais je n'en aperçois aucun. Je devrais pourtant en voir au moins un; celui que j'ai décroché avant de sauter. L'avion en feu, lui-même a disparu ! A-t-il pu atteindre nos lignes toutes proches ou bien a-t-il explosé durant ma chute libre ?

Mon attention est attirée soudain par une fumée noire s'élevant en grandissant aux abords immédiats du pont ferroviaire de Chalampé. Ce cordon ombilical vital pour les troupes allemandes aurait-il été coupé ? Si tel était notre cas, notre sacrifice ne serait pas vain.

Mais ma brève satisfaction est aussitôt tempérée par la découverte de mes brûlures. Mes gants sont soudés sur mes mains. Je les arrache vivement avec les dents ! La main gauche est à vif. La peau est partie avec le gant. Spectacle inquiétant à voir, mais pour l'instant je ne ressens aucune douleur !

Tout en descendant suspendu par une seule sangle, je suis soumis petit à petit à un mouvement de rotation de plus en plus important qu'il me faut enrayer au plus vite. Instinctivement, j'écarte les deux bras horizontalement et la résistance ainsi créée, ralentit assez rapidement le mouvement de rotation de mon corps.

marauder abattu



En parachute au-dessus de son village


Subitement, il me vient à l'idée que je ne dois pas être bien loin de mon village natal, Ottmarsheim. En effet, je l'aperçois presque en dessous de moi. Le vieux clocher de notre belle église du XIe siècle se dresse fièrement parmi les maisons alsaciennes couvertes de neige. Celle de mes parents semble me dire "à très bientôt".

Mais un vent d'ouest assez violent ne l'entend pas ainsi et m'emporte vers la rive ennemie. A un moment, me parvient très nettement le bruit d'une longue rafale d'arme automatique, qui m'est vraisemblablement destinée. Je réalise très vite le danger en laissant tomber mes bras le long de du corps, dans une position inerte. Le tir s'arrête me semble-t-il. Dois-je mon salut à cette à cette réaction ?

De justesse, le vent me fait franchir le fleuve. J'ai la très nette impression que la terre monte vers moi et non que je descends vers elle. Les arbres grandissent sans cesse. A quelque distance dans la forêt, j'aperçois des soldats allemands sortant d'un blockhaus en courant pour venir me capturer. Je passe près d'une ligne à haute tension, puis me prépare pour l'atterrissage. Une petite clairière me reçoit gentiment. L'épaisse couche de neige amortit un peu le choc brutal que je ressens. Je me débarrasse de mon harnais, puis ramasse le parachute que je fais disparaître sous une souche d'arbre déracinée à quelques pas de là. Les soldats sont à ma recherche. J'entends très nettement dans le calme de cette forêt, l'éclat de leurs voix. Dans quelle direction s'enfuir… Un petit chemin fraîchement tracé dans la neige me paraît favorable. Je l'emprunte et à une centaine de mètres environ de mon point de chute, je me faufile sous des ronces très épaisses afin de me camoufler au maximum. Installé dans cette cache, je me débarrasse de mon casque en cuir dans lequel était marqué mon véritable nom. Alsacien d'origine, j'avais choisi pour nom de guerre, la traduction de mon nom patronymique et m'appelait ainsi BIENAIME Jean-Louis au lieu de LIEBENGUTH Jean-Baptiste.

De ma cachette provisoire, j'assiste en spectateur forcé et peu fier, au passage des derniers "B.26", à la chute et à l'explosion de leurs dernières bombes qui arrêtent mes poursuivants. Ceux-ci regagnent même leur abri bétonné à toutes jambes. J'exploite ce court instant pour atteindre la lisière du bois. Par bonheur, aucune présence militaire n'est visible sur cette plaine toute blanche séparant la forêt du Rhin de la Forêt Noire. Mon but est d'atteindre les premiers contreforts de celle-ci pour mieux m'abriter et poursuivre mon évasion jusque en Suisse. Mais il me faut trouver la voie ferrée existante dans cette plaine qui me permettra en la suivant d'atteindre l'enclave de Bâle.


Accueilli sur le sol allemand par deux prisonniers polonais


Je m'élance donc assez péniblement à cause de l'épaisse couche de neige, à travers cette vaste, morne et silencieuse plaine.

Après avoir parcouru quelques centaines de mètres, j'aperçois deux hommes en train de sortir des betteraves d'un silo pour les charger sur une des deux voitures hippomobiles rangées à proximité. Deux robustes chevaux sont attelés à l'une d'elles.

Je m'approche prudemment et m'aperçois que les deux hommes sont vêtus du treillis militaire américain. Du coup ma méfiance s'estompe. Je marche carrément vers eux en les interpellant en anglais. Totalement surpris de ma présence, ils me dévisagent en bredouillant quelques mots. Ce sont deux prisonniers de guerre polonais. Je leur parle allemand et ils me comprennent.

L'un d'eux s'empresse de venir me prendre par le bras pour me faire entrer à l'intérieur du silo où je m'assoie sur les betteraves. Là, je ne risque pas d'être repéré par les servants des pièces de "88". Les deux Polonais me racontent qu'ils m'avaient vu sauter de l'avion en flammes et descendre en parachute.

Celui qui venait de me cacher partait rapidement vers le village avec la voiture qui était attelée. Resté seul avec le second prisonnier, je le regarde charger ses betteraves. Le silence règne entre nous, mais le départ précipité de son camarade me donne à réfléchir. Ne va-t-il pas me dénoncer au village?

Une heure plus tard le voici de retour avec les deux chevaux qu'il attelle à la voiture restante. Aussitôt après il vient me trouver en sortant des pansements de ses poches et s'empresse de me soigner les mains. A mon insu, il glisse dans la poche de ma veste de vol, une boite de pommade qui, par la suite, me causera bien des ennuis. Puis les deux Polonais me montrent l'emplacement des batteries de Flak et m'indiquent la direction à suivre pour atteindre la fameuse voie ferrée. Ils m'installent après cela au fond du silo, bien calé contre les betteraves et me cachent avec de la paille en me souhaitant "bonne chance". Peu après, ils m'abandonnent à mon triste sort. Le calme et le silence aidant, je m'assoupissais aussitôt. Ce sont les douleurs ressenties aux deux mains qui me réveillèrent, probablement longtemps après. J'avale deux cachets vitaminés et décide de sortir de ma cachette. Au dehors, c'est la nuit froide et hivernale. Le moment semble être propice pour se mettre en marche dans la direction indiquée par les deux prisonniers polonais. J'avance péniblement dans une épaisse couche de neige. La nuit claire et étoilée me permet de voir que je progresse vers le sud, à l'écart des pièces de Flak. Au bout d'un certain temps, je découvre la voie ferrée enfouie partiellement sous la neige. Je la suis en marchant sur le coté. Je sais qu'il me faut parcourir une trentaine de kilomètres pour atteindre mon but. Après une petite halte pour souffler un peu, je reprends deux autres cachets vitaminés contenus dans ma trousse d'évasion, qui vont me permettre de repartir avec une ardeur nouvelle. Toute en marchant, je pense à mes camarades d'équipage. Ont-ils réussi à atteindre les lignes amies?

Mais mes brûlures me ramènent très vite à la réalité. Ma vue faiblit au fur et à mesure que le temps passe. Mon nez que je palpe en plusieurs occasions me donne l'impression de devenir rigide. Je sens nettement comme une odeur de chair brûlée. Pourtant grâce au froid très vif, je ne ressens encore aucune douleur. Ma progression n'est ralentie que par la diminution lente et progressive de ma vue, provoquée par l'enflure de mes plaies. De temps à l'autre, j'écarte les paupières pour arriver à contrôler ma route. C'est ainsi que je me rends compte que je me trouve sur le viaduc ferroviaire de Bad Bellingen. Ce viaduc, je l'avais vu souvent, durant ma jeunesse, quand nous allions faire des randonnées à bicyclette avec des copains le long du Rhin sur l'autre rive.

Pour la première fois depuis ma descente en parachute, je commence à douter. M'était-il encore possible de poursuivre mon évasion, ou bien fallait-il l'interrompre ici?

Finalement, je rebrousse chemin sur une centaine de mètres et me laisse glisser au bas du remblai de la voie ferrée. Puis je trouve un chemin qui mène tout droit vers l'église du village. Je m'approche avec l'intention d'y chercher refuge, mais la porte d'entrée est verrouillée. Je me dirige alors vers les maisons avoisinantes. Mais c'est partout le même spectacle; les accès ne sont pas dégagés et la population a été évacuée. Je poursuis ma route. Tout en marchant, je remarque que toutes les maisons sont abandonnées, sauf une à la sortie du village qui est une petite ferme, dont l'entrée enneigée a été dégagée. Je m'approche, je frappe à la porte, je la secoue, j'appelle. Aucune réponse. Dans le silence de la nuit, je décèle seulement la présence de plusieurs vaches dans l'étable dont je trouve également la porte. Je l'ouvre et je ressens aussitôt une douce chaleur animale. En tâtonnant dans l'obscurité le long de la paroi opposée aux vaches, j'arrive au fond de l'étable, où là, posé à l'angle des deux murs, se trouve le tabouret servant à traire les bêtes. Je m'assois dessus et petit à petit je sombre dans le sommeil. Je ne sais pas combien de temps je suis resté endormi? Toujours est-il qu'à un moment donné, je suis réveillé par un bruit de sabots et par l'ouverture brutale de la porte de l'étable. Le paysan allemand pousse un cri de stupéfaction et me demande ce que je fais dans son étable? Je lui réponds:

"Moi aviateur français, moi blessé. Hôpital. Docteur."

La porte se referme. Quelques minutes plus tard, des bruits de voix me parviennent très nettement. Un homme ouvre la porte et s'avance vers moi en me disant:

"Viens, viens."

En me saisissant le bras, il m'amène dans la cour où, d'après les voix, je dois me trouver en présence de sept à huit personnes. Dès mon apparition, c'est le silence. On doit me dévisager. Soudain l'une d'elles se met à crier et à m'insulter en allemand:

"C'est l'un de ceux qui ont bombardé Neuenburg hier.
Ils ont fait beaucoup de victimes.
Ce chien de cochon doit payer. Nous allons le tuer maintenant."


Je répète à l'homme qui m'a sorti de l'étable:

"Moi prisonnier, moi blessé. Hôpital. Docteur. Gendarmes."

Soudain l'Allemand à qui je m'adresse, déclare fortement:

"Cet aviateur français est mon prisonnier. Vous ne le toucherez pas. Je vais le remettre vivant aux gendarmes."

En m'entraînant avec lui nous marchons quelques centaines de mètres durant lesquelles j'entends toujours les mêmes propos insultants et inquiétants à mon égard. Nous arrivons dans une nouvelle maison où nous entrons tous.

C'est encore celui qui ne cesse de m'insulter qui prend la parole:

"Je vais le fouiller ce chien de cochon, car il peut être capable de tout."
La fouille commence aussitôt. Il découvre quelques objets personnels sans intérêt, puis trouve ma trousse d'évasion.

"Vous voyez, je tiens la preuve qu'il a des partisans ici. Cette pommade provient de la pharmacie de Mullheim. Avec les gendarmes, nous allons découvrir ces partisans et nous les fusillerons ensemble."

Après m'avoir remis le tout dans mes poches, les sept ou huit hommes s'en allèrent en fermant la porte à clef.

Me retrouvant seul et pratiquement aveugle, je ne cesse de penser à cette boite de pommade allemande. Il faut absolument que je m'en débarrasse. N'entendant plus aucun bruit, j'explore à tâtons la pièce. Il n'y a aucun meuble. Seul un tas de chiffons assez important dans un coin va me permettre de me délester de cette dangereuse petite boite.

Après une attente assez longue, le groupe revient. Le même excité explique au nouveau venu, probablement un gendarme, les circonstances de ma découverte, tout en insistant sur l'existence de partisans qui, selon lui, m'auraient soigné et accompagné jusqu'à l'étable de la ferme isolée.

"La preuve se trouve encore sur lui. C'est une boite de pommade allemande. Vous n'avez qu'à le fouiller et vous serez convaincu. Il faut les trouver et nous les fusillerons ensemble."

Fort heureusement, la réaction du nouveau venu, qui était bien un gendarme, fut toute différente.

"Vous ne toucherez pas un cheveu de cet aviateur français qui est maintenant prisonnier de guerre. Je l'emmène avec moi à la gendarmerie de Schliengen."

Quelques minutes plus tard, nous étions tous deux sur la route enneigée, marchant cote à cote dans un silence irréel en direction de la gendarmerie.

Arrivée à destination après une marche plutôt pénible dans cette neige épaisse, on me fit déshabiller pour me fouiller une nouvelle fois.

"Avez-vous trouvé sa plaque d'identité ?" demanda le chef.

Devant la réponse négative du gendarme convoyeur, ses deux autres confrères s'interrogèrent:

"C'est quand même étonnant que cet homme en uniforme militaire, ne possède pas sur lui sa plaque d'identité? Ce n'est tout de même pas un espion!"

La gravité de ses propos m'oblige à réagir. Il est certain que je ne suis pas un espion, mais ma plaque d'identité est enfouie dans une petite poche de mon pantalon, au lieu de pendre à mon cou. Je me lève de ma chaise et répète à plusieurs reprises:

"Ici, plaque d'identité, ici plaque d'identité" en montrant avec mes deux mains, recouvertes de pansements, l'endroit où elle se trouve.

"Gendarme SCHULTZ", lui dit le chef, "voyez donc ce qu'il veut."

C'est la première fois que le chef appelle le gendarme, qui m'a amené, par son nom. Dès qu'il est près de moi, je lui montre ladite petite poche dans laquelle il découvre enfin ma plaque d'identité indiquant mon nom de guerre, mon grade et mon groupe sanguin.

Puis on me fait sortir à moitié dévêtu de la pièce bien chauffée afin de pouvoir téléphoner à l'autorité supérieure. J'essaie d'écouter la conversation en collant mon oreille droite contre la porte, mais je n'entends rien. Au bout de quelques minutes, je commence à râler:

"J'ai froid. Faites-moi entrer, j'ai froid."

Le gendarme ouvre la porte. J'entre. Je demande ma combinaison chauffante et j'obtiens satisfaction, mais l'autre gendarme remarque mon chronomètre et me l'enlève du poignet.

Après un long silence, SCHULTZ me conduit à travers couloirs et escaliers dans un local non chauffé et m'y enferme. Petit à petit, le froid m'engourdit les jambes. Je tape alternativement des pieds pour faire circuler le sang et me réchauffer un peu. Cela fait du bruit.

Le gendarme SCHULTZ revient voir ce qui se passe et m'apporte gentiment un café chaud. Je le refuse.

"Non, non, pas de café. J'ai froid."

Il insiste pour que je le boive, puis devant mon obstination, s'en va en refermant la porte à double tour.

La nuit va me paraître interminable dans cette cellule glaciale où je suis sans la moindre couverture. Mes blessures commencent à me faire souffrir.

Au matin, la porte s'ouvre. C'est le gendarme SCHULTZ qui vient me chercher pour me ramener dans le bureau du chef.

J'ignore totalement l'heure qu'il est, mais j'apprends que l'on va me conduire dans un hopital pour me soigner.



carte
1. Pont de Chalampé
2. Ottmarsheim
3. Zone d'attérissage
4. Pris par les allemands
5. Gendarmerie de Schliengen
6. En route pour Freiburg



En route pour la base aérienne de Freiburg


Le chef est en conversation avec un feldwebel de la Flak de Neuenburg, chargé de m'accompagner jusqu'au terrain de Freiburg. Dans le bureau se trouve également un infirmier qui, aussitôt s'occupe de moi, et me remets de nouveaux pansements en papier blanc sur les mains et la figure.

Pendant ce temps, le chef gendarme confiait au feldwebel accompagnateur, mes objets personnels confisqués la veille.

Sitôt les soins terminés, nous quittons la gendarmerie de Schliengen. Le froid est toujours très vif. A un moment donné, nous nous arrêtons. Je reste seul quelques instants. Un véhicule à moteur, probablement un camion, stoppe non loin de nous. Le feldwebel me guide et m'aide à monter. Le véhicule démarre. Ma présence attire bien sur la curiosité des autres passagers et les conversations vont bon train. Nous descendons au croisement des routes Neuenburg-Müllheim et Schliengen-Freiburg où nous attendons un autre véhicule sur le bord de la chaussée.

Dans tout ce secteur de la plaine du Rhin, les déplacements en plein jour ne sont pas faciles. Plus aucun train ne circule entre Lörrach et Freiburg. La circulation routière est également fortement compromise ; d'une part, par le manque de carburant, d'autre part, par les interventions des chasseurs bombardiers français et alliés, qui attaquent systématiquement les véhicules repérés.

L'attente me paraît relativement longue. Enfin, un autre véhicule s'arrête et nous prenons place une nouvelle fois parmi de nombreux passagers.

Mon accompagnateur engage la conversation avec une jeune et jolie femme, qui accepte un rendez-vous à 18 h 00 en gare de Freiburg. Quant à nous, nous descendons à l'entrée de la ville pour rejoindre la base aérienne à pieds.

Le commandant de la base, un officier de la LUFTWAFFE très correct, s'étonne en me voyant :

"Mais cet aviateur est sérieusement blessé. Il faut d'abord le faire soigner. Ensuite nous verrons."

Il appelle son ordonnance, qui accourt.

"Avons-nous un véhicule pour conduire cet homme à l'hôpital ?"

"Non, mon capitaine. Ni auto, ni side-car."

"Peut-il marcher ?" demande-t-il au feldwebel.

"Oui."

"Alors, conduisez-le à l'hôpital et votre mission sera terminée."

Nous quittons la base aérienne par les chemins les plus courts, sans aucun doute pour ne pas manquer le rendez-vous de 18 h 00.


Soigné à l'hôpital de Freiburg


En arrivant au bureau d'accueil de l'hôpital, le feldwebel s'adresse aussitôt à une employée et lui déclare :

"J'ai ordre de vous remettre ce prisonnier français blessé. Voici le rapport et les objets personnels que la gendarmerie de Schliengen m'a remis pour vous."

"Ne me laissez rien, Monsieur, lui dit-elle, vous n'êtes pas au bon endroit. Veuillez reprendre le couloir et continuer tout au fond, vous trouverez le bureau d'admission."

Les minutes s'écoulaient lentement et mon accompagnateur en avait assez de perdre son temps avec un prisonnier. Soudainement, il s'énerve et m'attrape sans ménagement par le bras, en m'entrainant dans un autre bureau, où il me fait asseoir.

"Mademoiselle, je vous remets ce prisonnier français, dit-il à l'infirmière, d'une voix peu aimable. Il est blessé, il faut le soigner. Voici le rapport de la gendarmerie de Schliengen et ses objets personnels. Au revoir."

Sans attendre, il quitte le bureau et disparaît.

Une voix féminine, très douce, s'adresse à moi en français.

"D'où êtes-vous, pour parler aussi bien le français ?"

"Je suis Alsacienne, native de Colmar et je suis infirmière dans cet hôpital."

"J'ai très soif et je voudrais une grenadine…"

"Un instant, je vais vous la chercher."

Son absence est de courte durée. Elle revient et me donne effectivement un verre de grenadine. Je n'en reviens pas.

Au lieu de la remercier, je me mets à la sermonner :

"Savez-vous que l'Armée française vient de déclencher l'offensive de libération de la poche de Colmar. Rentrez vite chez vous en Alsace pendant que le pont de Chalampé est encore debout. Mais partez vite, vite…"

"Taisez-vous. Taisez-vous. Ne parlez pas si fort et calmez-vous."

Puis brusquement c'est le silence. Elle s'est eclipsée.

Peu après, une autre infirmière me prend en charge et m'emmène dans une salle où s'entassent de nombreux blessés alliés. Elle m'aide à me déshabiller, me donne du linge de l'hôpital et m'installe dans un lit, à coté d'un Français, blessé en Alsace lors de la première offensive alliée. Celui-ci ne cesse de me demander, où et comment j'ai été blessé et fait prisonnier, où en sont les combats en Alsace, etc… Je le renseigne sur les circonstances de ma présence parmi eux en lui donnant quelques explications sur le bombardement du pont ferroviaire de Chalampé, sur mon avion touché par la Flak et sur mon saut en parachute.

Je suis le seul aviateur français parmi tous ces blessés. Plusieurs d'entre eux, capturés en Alsace, sont contents d'apprendre que les combats tournent à notre avantage.

Le passage de l'équipe médicale met fin à notre conversation. Une infirmière enlève mes pansements. Le médecin-chef examine mes brûlures. Il explique, assez rapidement, le traitement me concernant, puis ajoute :

"Je le reverrai dans deux jours."

Cette nouvelle infirmière parle un petit peu français. Elle recouvre immédiatement toutes mes brûlures avec des compresses dégageant une odeur d'huile de foie de morue et utilise des pansements en papier pour les maintenir.

Une autre infirmière vient lui proposer son aide. Elles échangent quelques paroles entre elles.

"Ce pauvre garçon sera certainement aveugle, car il est très sérieusement brûlé à la figure."
L'appel désespéré d'un autre blessé coupe court à ces bavardages. Elles m'abandonnent pour aller s'occuper de lui.

Petit à petit mes douleurs s'atténuent. Je ressens un bien-être m'envahir et je m'endors. Les douleurs me réveillent en plein milieu de la nuit. J'entends des gémissements et des plaintes en arabe provenant d'un tirailleur marocain. Il appelle son père et sa mère à plusieurs reprises, puis s'arrête. Je pense en moi-même qu'il a enfin trouvé le sommeil. Hélas, le matin au réveil, j'apprends qu'il s'est endormi pour l'éternité. Blessé en Alsace, il était resté une nuit entière dans la neige. Presque totalement gelé, les soins s'étaient avérés inutiles.

Les deux soeurs affectées à notre salle sont littéralement débordées. Les prisonniers blessés sont en surnombre, et elles ont également la responsabilité d'une salle voisine remplie de blessés allemands. Sollicitées de toutes parts, elles prodiguent leurs soins à tous, avec une grande gentillesse. L'une d'elles s'occupa bien de moi. Comme je ne pouvais pas manger, vu l'état de mes lèvres, elle me donna un bol de lait chaud sucré, que je buvais avec une paille et deux morceaux de pain de mie beurrés, coupés en petits carrés, que mon voisin de lit me portait à la bouche.

Pour calmer mes douleurs et me faire dormir, elle me donne des tranquillisants. Mais malgré une double dose, mes blessures me relancent sans cesse.

La deuxième nuit me paraît interminable. Aux douleurs s'ajoute le mauvais état du matelas. J'ai l'impression d'être couché sur des galets. Mais les cachets finissent par faire leur effet et je sombre dans un profond sommeil.

Dans la matinée du troisième jour le médecin spécialiste de l'hôpital vint me voir après les soins prodigués aux nombreux blessés de la salle.

Avec délicatesse, la soeur qui l'accompagne m'enlève mon pansement, puis avec une infinie douceur me passe une pommade sur les brûlures de mon visage. Pour permettre au docteur de m'examiner, elle écarte lentement mes paupières complètement boursouflées.

Comme à travers un brouillard, je vois alors apparaître légèrement penchée sur moi une magnifique tête blonde.

"Comme vous êtes jolie ma soeur", ne puis-je m'empêcher de lui dire.

Le toubib allemand lui demande la traduction de mes paroles. Ce qui est fait aussitôt.

"Ses yeux sont donc intacts... Il a eu beaucoup de chance dans son malheur. Continuez le traitement de ses brûlures."

Et l'examen s'arrête là...

Les journées s'écoulaient lentement. Les alertes restaient fréquentes.

Un matin, je n'arrivais pas à ouvrir la bouche. Mes lèvres étaient collées l'une à l'autre. Un médecin trancha la croûte avec son bistouri.


L'évacuation de l'hôpital de Freiburg


Une nuit - je crois que nous étions le 8 février - grand branle-bas dans l'hôpital. L'ordre d'évacuation vient d'être donné. On nous emmène par tous les moyens. Peu de temps après, je me retrouve sur un brancard dans un wagon de marchandises avec une vingtaine d'autres grands blessés.

Le convoi s'ébranle, passe probablement sur des aiguillages, puis trouve une allure modérée et régulière à travers un paysage hivernal. Je m'endors petit à petit, bercé par le rythme régulier du train roulant dans la nuit. Soudain, je suis réveillé par le grincement strident des freins. Les wagons s'entrechoquent. Le train s'est arrêté en rase campagne. Quelqu'un ouvre la porte coulissante et hurle :

"Fliegeralarm"

Les deux membres du service sanitaire allemand, qui sont dans notre wagon s'enfuient dans la campagne avoisinante. Nous, nous restons allongés sur nos brancards et attendaons la suite des évènements...

Nous entendons très distinctement le bruit des chasseurs bombardiers qui piquent sur leur objectif qui ne doit pas être très loin de notre train. J'éprouve une certaine peur interne. Vont-ils nous attaquer ? Non, car au briefing le pilotes ont été prévenus de l'évacuation de l'hôpital et nous voyageons dans des wagons dont le toit de chacun porte une enorme croix rouge sur fond blanc.

L'alerte terminée, notre train reprend péniblement sa marche. Enfin, après bien d'autres arrêts, nous arrivons à Rottweil sérieusement bombardée. Le transbordement dans des véhicules prévus pour nous emmener dans un nouvel hôpital se fait assez rapidement. Le trajet n'est pas très long. Je me retrouve dans une salle avec d'autres blessés français.

Mon voisin de lit, hospitalisé depuis plusieurs semaines se nomme Robert FAIVRE. C'est un adjudant du 24eme Bataillon de Marche, qui a participé à tous les combats depuis le Fezzan et qui a été blessé gravement en Alsace, ou il a été capturé sur le champ de bataille. Il m'apprend que nous sommes dans un bâtiment isolé situé dans un grand parc entouré d'une ceinture de fils de fer barbelés de trois mètres de hauteur et trois mètres de largeur. Infranchissable pour le commun des mortels, car l'ensemble est gardé nuit et jour. Le personnel sanitaire soignant et les médecins sont des prisonniers français et anglais placés sous les ordres d'un médecin major allemand, qui décide lui-même du renvoi des prisonniers tout juste rétablis au Stalag V B de Villingen.

Le soir de notre arrivée, un lieutenant médecin anglais, d'origine australienne, m'enleva les croûtes que j'avais sur le visage afin d'éviter les cicatrices. Sans anesthésie, car les produits médicaux manquaient, je passais près de deux heures à me cramponner à mon lit durant cette intervention...

Un arrivage de pénicilline, envoyée par la Croix-Rouge internationnale lui permit de me faire une greffe de peau sur les paupières. Pour éviter l'infection, un infirmier français, baptisé "Le Lion", me fit toutes les trois heures durant quatres jours des compresses imbibées de pénicilline. Grâce à lui, je m'en sortais bien.

Le 6 mars, le lieutenant BARCLAY m'enleva définitivement mes pansements et je fis enfin connaissance avec mes malheureux camarades blessés, qui m'avaient tous manifesté beaucoup de sympathie.

Les alertes aériennes se succèdent. J'en profite pour repérer les lieux avec mon ami FAIVRE en vue de notre future évasion.

Le 11 mars au matin, le médecin major allemand, au cours de sa visite mensuelle nous estime suffisamment guéris pour rejoindre le Stalag V B de Villingen.

Les évènements se précipitent. Nous recueillons de très utiles renseignements, notamment auprès du médecin français, pour nous diriger vers Schaffhouse, en Suisse. Une ligne à haute tension, située sensiblement est-sud-est par rapport à notre bâtiment et à environ 4 ou 5 kilomètres nous servira de guide.

Le 12, nous sommes appelés tous les deux au magasin ou sont entreposés nos vêtements militaires que nous portions le jour de notre capture. Rien ne manque. Le magasinier - un prisonnier français de 1940 - me donne en supplément un blouson de campagne américain usagé, que je m'empresse de prendre. Pour empêcher d'être "reniflés" par les chiens policiers, le "Lion" m'a procuré une pleine boîte de poivre noir moulu.

La dernière nuit me semble longue...

Réveillés à quatre heures du matin le 13, nous nous retrouvons dans le vaste hall de l'hôpital avec d'autres prisonniers : neuf Américains, neuf Soviétiques et quatre Français. Nous recevons notre ration journalière, qui se compose d'un morceau de pain et d'une tranche de mortadelle.


A travers la campagne allemande



Puis on nous compte et recompte plusieurs fois avant de nous mettre en route sur trois rangs. Nous arrivons devant le poste de garde situé à une cinquantaine de mètres de l'hôpital. Nouveau comptage qui dure bien dix minutes. Une sentinelle va ouvrir finalement la porte qui permet de passer la barrière de fils de fer barbelés. Le vrai départ est donné. Direction : la gare de Rottweil distante de 4 kilomètres. Un soldat passe en tête et éclaire le chemin avec une lampe de faible intensité, un autre se place sur le côté gauche à peu près au milieu de la colonne et le troisième ferme la marche.

Nous avions décidé avec FAIVRE que je lui donnerai une tape sur l'épaule au moment ou je quitterai la colonne pour qu'il me rejoigne. Le silence règne dans les rangs. Chacun essaye de ne pas heurter celui qui le précède, car nous sommes encore en pleine obscurité.

Nous arrivons devant un mur où l'ensemble du détachement doit se bousculer pour franchir un étroit passage. Aussitôt après je tape sur l'épaule de mon ami FAIVRE et sors vivement de la colonne en m'accroupissant dans l'herbe. Le soldat assurant l'arrière-garde ne me voit pas. En m'approchant du mur, je découvre le sentier qui nous mènera jusqu'au Neckar tout à l'heure. FAIVRE me rejoint. Nous traversons plusieurs jardins et plusieurs petits champs près desquels nous discernons quelques filets de lumière provenant d'habitations voisines. Il doit être un peu plus de cinq heures du matin. Nous accélérons le pas. A un moment je m'étale brutalement sur le sol pour n'avoir pas aperçu une dénivellation marquée. FAIVRE, qui éprouve quelques difficultés pour me suivre, contourne l'obstacle et évite la chute. Nous repartons, mais mes vêtements sont souillés par la boue. Nous marchons toujours en silence, l'attention toute entière concentrée sur notre progression. Soudain le bruit d'un train qui roule et qui s'approche de nous fait dévier nos regards dans sa direction. C'est le train qui conduit nos camarades au Stalag de Villingen ! Nous distinguons très nettement les wagons remplis de voyageurs. La montre de FAIVRE indique un peu plus de 07 h 00. Nous approchons de la forêt, but de notre première étape et cherchons du regard la ligne à haute tension, mais ne la voyons pas. Le jour est maintenant bien levé et nous pénétrons bientôt sous de beaux et grands sapins. Nous avançons pour trouver un endroit propice pour nous cacher durant la journée. Finalement nous nous arrêtons au milieu d'une sapinière très dense, haute de quelques mètres seulement. Nous cassons quelques branches pour nous faire une litière et je saupoudre de poivre le sol sur une vingtaine de mètres aux alentours. Nous mangeons notre maigre ration de pain, coupée en huit petits morceaux. Un pour le matin, l'autre pour le soir durant quatre jours. Quant à la tranche de mortadelle elle est consommée dès le premier jour pour une question de conservation. Puis nous nous déchaussons et nous allongeons sur notre lit de fortune. A midi et au milieu de la nuit nous absorbons chacun deux ou trois morceaux de sucre avec un peu de margarine. La boisson nous sera fournie par les rivières rencontrées. La capote de FAIVRE en guise de couverture nous protège du froid diurne. Nous sommes le 13 mars et l'hiver est à peine terminé. La neige a fondu partout, mais le sol est humide et très froid.

Alors que nous nous sommes endormis, des éclats de voix et des aboiements de chiens répétés nous font sursauter. Nous ne bougeons pas de notre cachette. Petit à petit le calme revient, mais nous restons sur nos gardes. Ces mêmes bruits se reproduiront plusieurs fois dans l'après-midi. Nous en déduisons qu'ils n'ont aucun rapport avec notre évasion. Mais nous sommes curieux d'en connaître les causes.

Le jour décline. Il est temps de nous mettre en route pour trouver cette fameuse ligne à haute tension. Nous débouchons presque aussitôt sur le bas-côté d'une route forrestière et nous comprenons l'origine des bruits entendus. Il s'agissait en effet très probablement de fermiers conduisant des bêtes, accompagnés de leurs chiens. La route est deserte. Après quelques centaines de mètres, nous apercevons notre ligne électrique et nous la rejoignons aussitôt. Elle s'aligne plein sud à travers monts. Il ne nous reste qu'à la suivre. La nuit claire et étoilée nous permet de marcher assez facilement, grâce à un sentier tracé tout le long et sous la ligne. La forêt sur son passage est déboisée sur une vingtaine de mètres. Malgré tout, après plusieurs heures, la marche devient fatigante. Les ondulations de terrain se multiplient. Ce ne sont plus de petites montagnes russes que nous franchissons, mais de véritables collines.

La blessure de FAIVRE (il avait reçu un éclat d'obus à la base de la colonne vertébrale), à peine cicatrisée, commence à le faire souffrir.

"Arrêtons-nous un peu", me dit-il.

"Je ne pense pas pouvoir continuer à ce rythme. Les efforts sont trop violents et je crains que cette plaie mal placée ne s'ouvre à nouveau."

Nous réfléchissons et mettons au point une autre forme d'avancée. Nous marcherons une heure et nous récupérerons nos forces durant un quart d'heure. Nous en profitons pour croquer quelques morceaux de sucre et nous repartons.

FAIVRE supporte mieux ce nouveau rythme.

En nous approchant d'un bois, nous tombons sur une harde de biches et de cerfs en train de manger du foin, placé à leur intention par les gardes forestiers. Nous nous arrêtons pour admirer ce spectacle magnifique. Mais nous devons repartir bientôt dans le silence de la nuit vers d'autres horizons. Quel dommage.

L'aube naissante arrive. Nous avançons depuis un certain temps dans une région relativement plate. Nous sommes sortis des contrées vallonnées et boisées, toujours guidés par la ligne à haute tension.

Nous sommes maintenant dans une grande plaine agricole. Nous nous hâtons pour trouver un petit bois ou une forêt susceptible de nous offrir le gîte pour cette deuxième journée de liberté. Nous traversons des champs labourés, puis tombons devant une grande tranchée où passent plusieurs voies ferrées. Nous les franchissons, puis atteignons un chemin de campagne, qui à quelque distance longe un petit bois de sapins.

Nous renouvelons notre opération de la veille pour nous cacher, sans oublier le saupoudrage du sol au poivre moulu. Une belle journée, bien ensoleillée, va nous permettre de nous reposer, mais brusquement le hurlement des sirènes provenant de plusieurs villages se fait entendre. Nous devrions avoir de la visite sous peu. En effet, quelques minutes plus tard plusieurs personnes à bicyclette passent sur le chemin sans s'arrêter ainsi qu'un groupe de femmes à pieds. Au loin nous entendons les avions, puis le calme revient. Le crépuscule signifie pour les habitants la fin des alertes aériennes et la reprise d'une vie normale. Pour nous, c'est le départ d'une nouvelle randonnée nocturne.

Difficile progression en agglomération



Nous empruntons une route qui va en direction d'un village dont nous avons aperçu le clocher ce matin. Comme il ne fait pas complètement nuit, nous décidons de le contourner par l'ouest, afin de ne pas nous faire repérer en le traversant de si bonne heure. La marche est beaucoup plus difficile, car nous sommes obligés de traverser des jardins et de petits terrains labourés. Sans trop nous en rendre compte, nous arrivons sur une route à la sortie de cette localité dont nous ignorons le nom. Par bonheur, elle se dirige plein sud. Nous parcourons ainsi plusieurs kilomètres sans rencontrer âme qui vive. La route, bien droite, traverse une région peu accidentée. Nous ne parlons que très rarement. Par contre, nous sommes attentifs au moindre bruit...

Soudain le bruit d'un véhicule à moteur, circulant à faible vitesse dans notre direction se fait entendre. Nous nous jetons à plat-ventre dans un champ avoisinant. C'est un camion qui passe lentement à côté de nous et se perd dans la nuit. Nous repartons en suivant le bas-côté de la route. Vers le milieu de la nuit, nous arrivons dans une autre localité. Aucun panneau indicateur ne nous permet de l'identifier. Nous croisons quelques passants qui se hâtent de rentrer chez eux. Un peu plus loin, nous entendons très distinctement des bruits de bottes. Nous nous cachons dans un jardin. C'est une patrouille militaire qui passe sans nous voir. Ouf, nous l'avons échappé belle ! Nous repartons une nouvelle fois. Tout en marchant silencieusement, nous parvenons sur un pont enjambant une rivière, où un passant venant en sens inverse nous interpelle en allemand. Je m'avance franchement vers lui alors que FAIVRE continue son chemin sur quelques mètres. C'est un civil allemand, vêtu d'un manteau d'hiver et coiffé d'un chapeau. A peine arrivé à sa hauteur, il me demande où se trouve la rue de Constance ? Sans réfléchir et sur un ton énergique, je lui réponds en allemand :

"C'est la deuxième rue à votre droite."

En lui répondant, je constate qu'il m'examine de haut en bas et qu'il marque un certain étonnement.

"Ah oui !"

Je plante là la conversation en ajoutant :

"Oui monsieur" et le quitte immédiatement.

Nous accélérons progressivement le pas. Un angle de rue favorise notre fuite. Nous croisons encore d'autres personnes pour arriver finalement en pleine agglomération devant la gare de Donaueschingen.

Nous voici donc dans cette ville située sur notre itinéraire. Le bruit haletant d'une locomotive à l'arrêt nous parvient aux oreilles. Des voyageurs entrent et sortent. Nous ne pouvons rester plus longtemps dans un tel secteur car le risque d'être arrêtés est trop grand. Mais comment allons-nous retrouver notre route en pleine ville ? En regardant le ciel étoilé, je détermine approximativement le sud. Nous traversons les voies ferrées. Au milieu de celles-ci, nous apercevons un grand pont qui les enjambe.

"C'est certainement la route qui mène à la frontière suisse", dis-je à FAIVRE.

Quelques minutes plus tard, nous l'avions atteinte et repartions plein sud.

Puis la route devient sinueuse. Nous nous retrouvons bientôt en pleine campagne. La région est de plus en plus vallonnée. Deux bidons de lait placés sur le bas-côté gauche de la route sont les bienvenus. Nous nous servons généreusement et remplissons deux boîtes que FAIVRE avait trouvé à l'hôpital. Nous reprenons notre marche dans la nuit d'un pas assez rapide. Un grand calme règne dans toute la région et l'aube apparaît bientôt à l'horizon. La frontière suisse ne devrait plus être loin. Nous rentrons dans un village au lever du jour et nous nous hâtons pour le traverser.

Insolites rencontres



Mais un bruit de bottes se dirigeant vers nous, nous parvient distinctement. Par bonheur nous nous trouvons devant une ferme, dont les propriétaires ne sont pas encore levés, située à quelques mètres en retrait de la route. Rapidement nous entrons dans la cour et voyons passer une dizaine de militaires en armes.

Une fois de plus nous l'avons échappé belle !

Nous nous sauvons aussitôt derrière le bâtiment de la ferme en direction d'une colline boisée dont le sommet est couvert d'une magnifique forêt de sapins. Là, nous allumons un petit feu, qui nous permet de boire un lait chaud bien sucré avant de nous allonger. La journée est déjà bien avancée. Ca et là les sirènes hurlent.

Soudain, un homme d'un certain âge marchant péniblement en poussant une bicyclette, s'avance vers nous. Il est à bout de souffle après l'effort qu'il vient de fournir pour arriver au sommet de cette colline et s'arrête tout près de notre cachette. Après s'être assis pour manger quelques provisions, il aperçoit avec stupéfaction la boîte de lait que FAIVRE avait posé près de nous. Il la prend à deux mains et se met à parler à haute voix.

"Mais d'où vient cette boîte pleine de lait ? Qui l'a posée là ? Hier il n'y avait rien à cette place."

Tout en parlant et en tournant la tête en arrière il découvre notre présence.

Une grande frayeur s'empare de lui. Son visage devient blême. Les nôtres mal rasés et le couteau que FAIVRE tient en main, prêt à le frapper, ne doivent pas le rassurer.

Reprenant confiance devant notre attitude non agressive, il nous dit :

"Je suis un pauvre réfugié de Donaueschingen. Ma maison a été bombardée et j'ai tout perdu. Je viens tous les jours dans cette forêt pour echapper aux bombes et le soir je rentre en ville."

A mon tour je lui explique que nous sommes deux militaires français, prisonniers évadés, en route vers la Suisse.

Vivement il me répond :

"Mais ne restez pas là, les Feldgendarmes viennent tous les jours ici. La Suisse est là devant vous à quelques kilomètres."

Devant ce vieil homme fatigué, je ressens une certaine pitié et lui donne des sous-vêtements en laine que nous avions emportés avec nous. Puis nous le quittons sans perdre de temps en lui souhaitant bonne chance.

Nous dévallons la colline, peu boisée heureusement, puis remontons sur la suivante. C'est la première fois que nous marchons en plein jour. Mais nous sommes bientôt arrêtés dans notre progression par la présence de deux bûcherons, dont nous attendons le départ, qui se situera finalement qu'à la tombée de la nuit. Durant notre arrêt, nous apercevons une petite rivière où nous irons tout à l'heure nous désaltérer.

Reprenant notre marche nous arrivons à un pont qui l'enjambe. Que devons nous faire ? Nous le franchissons. Petit à petit, la végétation change. Le lit de la rivière s'encaisse de plus en plus, rendant notre cheminement pénible, voire même dangereux. Nous faisons une nouvelle pose. A l'aube, nous nous trouvons en pleine zone boisée. La rivière est devenue un vrai torrent. Au loin nous découvrons un viaduc. Côté gauche, il est gardé par une sentinelle suisse, côté droit par une sentinelle allemande.

Nous avons donc suivi la frontière suisse toute la nuit sans le savoir !

Nous réfléchissons quelques instants, car il nous paraît impossible de traverser ce torrent glacé et boueux à la nage.

Rapidement nous rebroussons chemin pour nous mettre hors de la vue de la sentinelle allemande. La forêt, suffisamment épaisse nous assure un bon camouflage. Nous contournons le viaduc avec de grande difficultés car la pente est importante. FAIVRE souffre à nouveau de sa blessure. Bien abrités, nous nous reposons un moment avant de poursuivre notre marche à travers une vaste cuvette déboisée. C'est une ancienne coupe de bois où de nouvelles touffes, plus ou moins grandes, repoussentdéjà à l'emplacement de chaque souche. Nous avançons avec une infinie prudence à travers ce terrain découvert.

Soudainement nous entendons des bruits de voix allemandes. Nous nous aplatissons aussitôt au sol derrière une touffe. Nous vivons là un des moments les plus dangereux de notre évasion. Anxieusement nous attendons la suite des événements.

Des soldats allemands conversent en franchissant la cuvette. Ce sont des militaires qui se dirigent vers le viaduc. Ils passent près de nous sans nous voir...

Lentement nous nous relevons et voyons trois soldats armés s'éloigner. Le secteur est dangereux. Nous partons vite nous mettre à l'abri d'un bois. Vers le milieu de l'après-midi, nous atteignons une plaine ensoleillée où se trouvent quelques maisons. Des gens travaillent la terre. Impossible d'aller plus loin pour l'instant. Peu avant le crépuscule, nous nous dirigeons vers les maisons. La nuit tombe lentement et bientôt nous arrivons dans ce village. Aucun poteau indicateur ne mentionne son nom. Nous passons devant des gens qui conversent tranquillement devant leur maison avant d'arriver à un carrefour de quatre routes. Malheureusement il fait trop noir pour lire les noms en petits caractères. Il faudrait que FAIVRE me fasse la courte échelle... mais une telle imprudence, si près de la frontière suisse, serait une pure folie. Nous continuons notre route comme si nous connaissions la région.

A la sortiedu village, un filet de lumière filtrant à travers un volet d'une maison isolée attire notre attention. Nous nous approchons silencieusement et entendons très distinctement la voix d'une femme en train de prier. Je frappe plusieurs coups contre le volet. La voix se tait. En allemand, je lui dis :

"Je suis un prisonnier français évadé. Dites-moi où se trouve la frontière suisse. Répondez-moi."

Un grand silence suit mes paroles. Je les renouvelle. Rien. La lumière s'éteint. La porte d'entrée que FAIVRE essaye d'ouvrir est verrouillée. Nous n'insistons pas car cette femme seule doit avoir terriblement peur.

Nous revenons au village. La rue principale est déserte maintenant. Nous pouvons alors prendre connaissance des différentes directions indiquées sur les poteaux en nous approchant de chacun d'eux. La route au nord va à Donaueschingen, la route au sud à Stühlingen. Nous décidons de suivre cette dernière. Tout est calme. Néanmoins nous restons très vigilants. Quelques bâtiments se profilent sur la droite de la route. A notre passage une lumière s'allume et nous voyons très nettement, à une dizaine de mètres, un homme qui semble être à la recherche de quelque chose. Je me dirige vers lui, le dévisage rapidement et me rends compte qu'il a les cheveux bruns frisés. Il est vêtu d'un treillis militaire maculé de farine. Je l'interpelle aussitôt en français croyant être en présence d'un prisonnier de guerre originaire du sud de la France.

"Non, je suis un prisonnier italien et je travaille dans cette miroiterie."

"Où se trouve la frontière suisse ?"

"Ici, à trois cents mètre."

"Viens avec nous, nous sommes deux prisonniers français évadés et nous allons en Suisse."

"Non merci, je suis bien dans cette miroiterie et je reste."

"C'est comme tu veux. Nous allons y aller sans toi."

Je le remercie néanmoins et lui donne mon dernier paquet de cigarettes américaines.

Les quelques centaines de mètres séparant la route de la frontière sont vite parcourues. Nous trouvons bientôt une borne d'environ un mètre de haut située tout près de la rivière. Le mot "Reichgrenze" est gravé sur les quatres faces. Mais pour nous, la situation reste la même. C'est la même rivière qui matérialise la frontière. Calmement nous faisons un nouveau point. FAIVRE souffre de plus en plus de sa blessure. Nous rebroussons chemin jusqu'à la dernière localité traversée. Là, nous prenons la route menant à Donaueschingen car elle est perpendiculaire à la rivière et doit bien la franchir par un pont. La nuit est déjà fort avancée au moment où nous arrivons au fameux carrefour. Quelques centaines de mètres plus loin, nous découvrons le pont. Apparemment il n'est pas gardé. Néanmoins nous le franchissons avec grande prudence. Un bâtiment imposant s'élève près de lui sur la droite. Quelques filets de lumière perçent à travers les volets. Un grand panneau rectangulaire, fixé sur la façade, nous apprend que nous sommes devant la Feldgendarmerie du secteur... Nous nous éloignons sur la pointe des pieds rapidement. Seul le bruit de l'eau nous accompagne dans le calme de la nuit.

Enfin la Suisse



Nous prenons le premier petit chemin se présentant sur notre droite qui nous mène dans les champs. Peu de temps après nous atteignons la rive gauche. La marche devient plus difficile au fur et à mesure que nous avançons. Nous nous trouvons dans les taillis et il nous arrive d'avoir le visage fouetté malgré tous les efforts que nous déployons pour écarter les branches. Nous grimpons une pente boisée et nous débouchons sur un petit chemin de montagne. A ce moment nous entendons nettement le bruit d'une locomotive haletante venant de la rive opposée. Nous nous allongeons et attendons le jour pour nous convaincre que nous avons réussi. La fraîcheur matinale nous réveille. De notre position, nous découvrons un site magnifique. Nous suivons du regard le cours d'eau sillonant la petite plaine. Un barrage sur la rive droite est gardé par une sentinelle allemande qui fait les cents pas.

Une peur rétrospective nous gagne à la pensée que nous nous serions jetés dans la gueule du loup en continuant notre marche le long de la rivière.

Allant nous abriter derrière un gros arbre, nous prenons l'envie de tester l'efficacité de la sentinelle. FAIVRE siffle fortement. Aussitôt, l'homme saisit son arme et se met sur la défensive en regardant dans tous les sens. Nous renouvelons plusieurs fois ces sifflements et arrivons à le mettre hors de lui.

En remontant le chemin, nous trouvons une borne frontière suisse du même gabarit que la borne allemande trouvée la veille. Nous sommes bien en Suisse. Nos efforts sont récompensés. Nous avons gagné. Nous empruntons le petit chemin pour sortir de ce bois. Dans la plaine, nous voyons plusieurs maisons recouvertes d'énormes croix blanches peintes sur fond rouge. Cette signalisation destinée aux aviateurs leur indique qu'ils survolent la Suisse, pays neutre. Elle est visible sur tous les toits des bâtiments construits le long des frontières de ce pays.

Peu de temps après, un soldat suisse nous aperçoit et nous arrête pour nous conduire à son poste de garde. Là, un lieutenant nous accueille très aimablement et nous offre café et cigarettes. Nous apprenons que nous nous trouvons au poste frontière de Schleitheim.

Un court séjour d'internement de rêve en Suisse nous permet ensuite de reprendre des forces et le 22 mars 1945 nous sommes reconduits avec d'autres Français à la frontière à Annemasse.

l'équipage du marauder 08




Le sort des autres membres de l'équipage


Deux autres aviateurs s'échappèrent également de l'appareil.

Lieutenant FOURLINNIE

Le co-pilote, le lieutenant FOURLINNIE, se retrouva projeté contre un hublot au moment de l'explosion. Assomé, choqué, aux limites de l'inconscience, sa tête était passée à l'extérieur. Son casque et ses lunettes avaient été aspirés. Des flammes envahissaient toute la cabine. C'est parce que la partie avant du B.26 bascula en tournoyant, qu'il se retrouva projeté dans le vide et tira par reflexe sur la poignée de son parachute.

Sa dernière vision, dans le bombardier désemparé, fût celle de son camarade le capitaine THEOBALD, gisant allongé, presque décapité.

Le lieutenant FOURLINNIE arriva au sol sur la rive française, près de Chalampé, dans une zone paraissant déserte. Sous le coup de ce qu'il venait de vivre quelques minutes auparavant, il était encore un peu hébété. Rapidement pourtant, il se sauve en courant dans l'espoir d'échapper aux soldats allemands, qui bien entendu, doivent le rechercher. Mais à quelques centaines de mètres de son point de d'arrivée, l'un d'eux le met en joue. C'est un jeune, parlant un peu français.

Emmené près d'une batterie, les artilleurs allemands lui offrent un verre de schnaps. Le premier contact n'est pas aussi mauvais qu'on aurait pû l'imaginer. On lui dérobe cependant son blouson de cuir et sa grosse combinaison de vol, mais on lui laisse sa veste fourrée. On le conduit ensuite dans un abri, où se trouvent plusieurs officiers. L'un d'eux l'interroge calmement, alors qu'à l'extérieur les bombes tombent encore. Dès la fin du bombardement, on l'emmène en side-car à Neuenburg, de l'autre côté du fleuve. Le lieutenant FOURLINNIE traverse ainsi le pont qu'il était venu bombarder !

Sur la rive allemande, il est conduit par son accompagnateur motocycliste dans un blockhaus. Là encore, il se retrouve dans une pièce remplie d'officiers. Quelques-uns parlent français. L'un d'eux lui apprend que sa soeur vient d'être tuée au cours d'un bombardement de la R.A.F... C'est une introduction plutôt fâcheuse... D'autres militaires arrivent encore. Nouvel interrogatoire. Mais celui-ci reste correct.

Le lieutenant FOURLINNIE hasarde une question.

"Avez-vous connaissance d'autres survivants ?"

"Oui. L'un d'eux est également tombé en parachute sur la rive gauche."

Dans l'après-midi, il retrouvera effectivement son camarade LETOFFET, sérieusement brûlé à la figure et aux mains. Les deux aviateurs seront conduits en voiture par deux soldats à la Kommandantur de Müllheim, puis de là, à la prison de Freiburg, en partie détruite. Il y resteront quelques temps avant d'être envoyés par chemin de fer au célèbre camp d'Oberursel, près de Frankfurt.

Après une série d'interrogatoires classiques, le lieutenant FOURLINNIE sera dirigé sur le Stalag de Giessen.

Mais devant l'avance alliée, le camps sera évacué. Les prisonniers lançés sur les routes avec leurs gardiens effectuerons au moins 200 kilomètres à pieds, à raison d'une quarantaine par jour. Puis transportés dans des wagons de marchandises, ils vivront une autre aventure non moins extraordinaire. celle d'une attaque par les chasseurs bombardiers américains de la gare où ils se trouvaient.
Ce jour là, ce fut une véritable boucherie. Il y eut beaucoup de morts. C'était le 27 mars 1945.

Le lieutenant FOURLINNIE sera finalement libéré par les troupes américaines au camp de Moosburg, au nord-est de München, le 2 mai 1945.

Caporal-chef LETOFFET

Le caporal-chef LETOFFET, mitrailleur, réussit à sauter à temps. Mais en sautant, il traversa de longues flammes, qui sortaient déjà du moteur droit.

Grièvement brûlé à la face et aux mains, il tomba sur la rive gauche, où il fut capturé à son arrivée. Sommairement soigné dans un poste de secours, il restera plusieurs jours sans autres soins.

Il rencontrera à l'infirmerie du camp de Wetzlar, le sous-lieutenant ANON du "GASCOGNE", qui en le croisant ne l'avait pas reconnu sous ses pansements. La tête totalement enveloppée, seuls les yeux, le nez et la bouche restaient encore visibles.

Les infirmiers du camp endigueront heureusement l'infection de ses brulures.

Sergent-chef BOUTIN

Dans les secondes où l'avion s'était embrasé, le sergent-chef BOUTIN avait bénéficié de l'aide de son camarade LIEBENGUTH, qui lui avait dégagé le pied resté accroché au support de la mitrailleuse, lorsqu'il avait sauté dans le vide.

Malheuresement, aussitôt après cette intervention réussie, son parachute probablement ouvert trop tôt, s'était pris dans l'empenage, où les flammes l'avaient atteint. Parachute rongé par les flammes, le sergent-chef BOUTIN tombe en chute libre sur la rive française.

Sous-lieutenant TRUCHOT

Le sous-lieutenant TRUCHOT, navigateur qui avait évacué par la soute à bombes, fut tiré au bout de son parachute par les troupes au sol, qui le prirent pour cible, comme elles avaient pris pour cible, l'adjudant LIEBENGUTH et le caporal-chef LETOFFET. Son corps tomba dans le secteur de Chalampé.

Commandant MENARD et capitaine THEOBALD

Resté à son poste de pilotage jusqu'au dernier moment le commandant MENARD disparaît dans l'explosion de B.26 lorsque celui-ci percute.

Son bombardier, le capitaine THEOBALD, tué dès le début de cette tragédie, l'accompagne dans ce dernier voyage.

Crash du 08


Quelques moments forts

Le 25 mars 1945, au cimetière de Chalampé, le frère du capitaine THEOBALD, lieutenant au 152e R.I., fera ouvrir la fosse commune, où les quatres aviateurs avaient été ensevelis dans la même toile de parachute. Il rassemblera suffisament d'indices sur chaque corps pour les identifier. Il fera ensuite placer chacun d'eux dans un cercueil avant de leur donner une tombe.

Courant du mois d'avril 1945, ma mère agée de 17ans et demi, armée de son petit appareil photo, a mémorisé l'emplacement des 4 tombes.
les 4 tombes dans le cimetière de Chalampé en avril 1945


Après la guerre, les familles MENARD, TRUCHOT et BOUTIN ont réclamées les corps qui ont alors été rapatriés dans leurs communes respectives.
Le corps du capitaine THEOBALD a été conduit au cimetière militaire de Sigolsheim près de Colmar.

A Chalampé, il reste une stele en mémoire du Capitaine Théobald.
le memorial Theobald dans le cimetière de Chalampé la plaque sur le memorial Theobald dans le cimetière de Chalampé



Elle s'appelait Billy


Billy la chienne mascotte de la 1er escadrille du GBM 1/22 Maroc


La chienne Billy avait été recueillie en Sardaigne par Jean-Baptiste LIEBENGUTH alors que le GBM 1/22 Maroc était stationné à Villacidro. Cette petite bête a accompli environ soixante missions de guerre, sans compter les nombreux vols d'entraînement et de liaison. Elle aurait certainement mérité de recevoir la Croix de guerre mais on ne décore pas les animaux, qui contribuent pourtant au moral des combattants.
Son maître lui avait fabriqué un harnais adaptable aux parachutes des membres de l'équipage afin qu'elle puisse être sauvée dans le cas où il aurait fallu abandonner l'appareil en plein vol. Le 22 janvier 1945, par chance, Billy ne participait pas à la mission. Elle sera prise en charge par Guy Pangaud qu'elle accompagnera durant plusieurs missions de guerre au-dessus de l'Allemagne.
La mise en route des moteurs et le bruit du tir des mitrailleuses la faisait trembler. Le reste du temps, elle parcourait l'avion en rendant visite à tous les membres de l'équipage. Au retour de chaque mission, elle était la première à sauter à terre pour aller se soulager, toujours près de la roue gauche du B-26.
Lorsque Jean-Baptiste LIEBENGUTH fut revenu de captivité, Billy retrouva avec plaisir son premier maître qu'elle ne quittera plus jusqu'à son décès.



Les états de service de JB Liebenguth


JB devant le 08 et sa tourelle


Déroulement de la carrière du Lieutenant Colonel LIEBENGUTH J.B. à partir de 1945

Après son évasion, JB Liebenguth a été admis pour 2 mois à l'hôpital militaire DESGENNETTE de Lyon.
Durant sa convalescence l'armistice est signée le 8 mai.
Le 26 septembre 1945 JB Liebenguth est nommé au grade de sous-lieutenant, spécialité Officier Mécanicien Volant.
Le lendemain il est affecté au Groupe de Transport Militaire 3/15 "MAINE" au BOURGET.
Après 17 mois au BOURGET, JB Liebenguth est muté sur sa demande à la 21ème Escadre de Bombardement Lourd à BORDEAUX-MERIGNAC. L'Escadre comprend 2 groupes, le "GUYENNE" et le "TUNISIE" équipés d'avions HALIFAX pour le transport de passagers et de fret.
Fin 1949, JB Lienbenguth intègre la base école 706 de CAZAUX en qualité d'élève navigateur. A l'issue d'une année de formation, il a obtenu le brevet de navigateur observateur aérien et par la suite le brevet de commandant d'avion.
Muté ensuite au Groupe de Transport Militaire 3/15 "MAINE" jusqu'en septembre 1951, date de son départ pour l'Indochine.
De septembre 1951 au 18 mai 1953 campagne d'Indochine dont 10 mois au G.T.A. "BEARN" à NYATRANG et 10 mois au G.T.A. "ANJOU" à SAIGON.
De retour en France en mai 1953, il est nommé capitaine le 1er juillet 1953 puis rejoint le G.L.A.M. (Groupe de Liaison Aérien Ministériel) basé à VILLACOUBLAY le 15 septembre 1953 pour un séjour de 17 mois jusqu'au 25 février 1955.
Muté pour un séjour de 30 mois en A.O.F. (Afrique Occidentale Française) au Groupe de Transport "BRETAGNE" basé à EHIES (70kms à l'est de DAKAR) du 07 mai 1955 au 06 septembre 1957.
De retour en métropole JB Liebenguth est affecté à l'annexe du C.E.V. (Centre d'Essai en Vol) à l'Escadrille de Transport basée à VILLACOUBLAY du 07 janvier 1958 au 16 janvier 1959 en qualité d'Officier Navigateur.
Dernière mutation du 16 janvier 1959 au 24 juin 1961 pour un séjour de 30 mois au G.S.R.A.78 (Groupe Saharien de Reconnaissance et d'Appui) basé à COLOMB-BECHAR.
Nommé au grade de Commandant le 25 juin 1961.
Le 30 juin 1961 JB Liebenguth est placé en congé définitif du personnel navigant à 46 ans pour 5 ans. A effectué 3 périodes d'instruction obligatoire pendant ce congé: 1 en 1962, 1 en 1963 et 1 en 1964.
Admis pour faire valoir ses droits à la retraite à/c du 01 juillet 1966.
Nommé au grade de Lieutenant-Colonel le 01 octobre 1969.

A effectué 7000 heures de vol
57 missions de guerre pendant la seconde guerre mondiale (Italie, France et Allemagne)
308 missions de guerre en Indochine et en Algérie

Cérémonie de remise de la Cravate de Commandeur de la Légion d'Honneur en mai 1963 devant le front des troupes sur la place de la comédie à Bordeaux
Remise de la cravate de la légion d'honneur


Les décorations de JBL





1975 Commémoration 30ème anniversaire


En 1975, une commémoration en l'honneur de ces aviateurs fut organisée à Ottmarsheim...
Commémoration à Ottmarsheim



2005 Commémoration 60ème anniversaire


Le 12 et le 13 février 2005 : 60ème anniversaire de la libération des villages de OTTMARSHEIM, BANTZENHEIM et CHALAMPE. Un hommage particulier sera rendu à l'équipage du Marauder N°08. Une exposition consacré à l'avion et son équipage sera visible à Chalampé.

Affiche de la commémoration


Le programme :
OTTMARSHEIM
Samedi 12 février 2005
En présence de Jean-Baptiste LIEBENGUTH
10h00 : Dépôt de gerbe au monument aux morts
10h30 : Défilé et rassemblement en face de la maison natale de M. Liebenguth (ex Restaurant du Cerf)
11h00 : Repas buffet, salle polyvalente, Discours

BANTZENHEIM et CHALAMPE
Samedi 12 février 2005
14h00 à 18h00 : Exposition à la salle polyvalente de Chalampé
16h00 : Goûter pour les enfants des écoles
17h00 : Conférence sur les B-26 maraudeurs par M.P. Ehrardt, salle polyvalente
19h00 : Messe de la Libération à l'église Saint Wendelin de Chalampé
19h45 : Apéritif en mairie de Chalampé

Dimanche 13 février 2005
9h00 à 18h00 : Exposition à la salle polyvalente de Chalampé
9h15 : Dépôt de gerbe et remise de médailles au monument aux morts de Bantzenheim
10h00 : Inauguration de la Place du 09 février 1945 à Bantzenheim
10h55 : Dépôt de gerbe et remise de médailles au monument aux morts de Chalampé
11h15 : Inauguration de la place commémorative à la mémoire de l'équipage du maraudeur tombé le 22 janvier 1945 à Chalampé
12h00 : Vin d'honneur à la salle polyvalente de Chalampé


EXPOSITIONS

Exposition par l'Association Philatélique du Rhin de collections de timbres sur la 2ème Guerre Mondiale (Bureau de poste temporaire 13 février 2005).

Exposition de photos et documents d'époque sur les communes avec témoignages vivants recueillis auprès d'anciens par MM. Roland Onimus, Thierry Jousson, Rémi Schnebelin & Joseph Stehlin.

Exposition extérieure de véhicules militaires d'époque (M.V.C.G. Est, Alsace 45).

Exposition de travaux des écoles primaires de Bantzenheim et Chalampé et de la Hauptschule de Neuenburg.

Maquettes d'avions et de véhicules (MM. Antoine Mismer et Gérard Dumont).

Exposition d'uniformes et d'armes (Association "Le Sans-Culotte").

Exposition d'objets du Musée de la Poche de Colmar et du Stadtmuseum de Neuenburg.

Conférence et présentation de l'avion B-26 Maraudeur par M. Patrick Ehrard


2005 Commémoration 60ème anniversaire - Les temps forts


Suivre ce lien pour accéder aux temps forts de ces 2 journées chargées d'émotions (photos et vidéos)